> Guillaume Logé pour Forum Vies Mobiles


Dans le cadre de l'exposition "travellers, campements et bords de ville", Guillaume Logé nous offre son regard sur ce projet artistique, rencontre avec les photographies de Ferjeux Van der Stigghel.

" De nulle part. C’est-à-dire de partout. Habiter, mais hors les murs, mais hors-champ, toujours. Insaisissables. Populations plurielles qualifiées de néo-nomades. Ne pas laisser de traces. L’empreinte, c’est ce qui marque. Ne pas marquer. Dilemme pour l’œuvre d’art, qui s’expose, d’aller à la rencontre du non-exposable. Les noirs des photos, il faut comprendre : résistance à la monstration. Echappées, latentes. Toujours possibles. Pour dire que l’image essentielle ne peut pas tenir dans l’image traditionnelle – toute accroche est négation.
Comment saisir un flux sans risquer de le perdre ? Il faut s’y fondre. User du seul fixateur qui ne fixe pas : la poésie. Poésie qui ne s’empare pas ; qui se contente d’aller avec. Alors le photographe va avec. L’œuvre est avant tout œuvre de vécu. Ferjeux Van der Stigghel a acheté et aménagé son propre camion. Suivre les caravanes sur les grand-routes aussi bien que les marcheurs isolés sur les chemins de traverse.
Ses photographies ont commencé bien avant l’image, là : dans cet aller avec. L’œuvre, c’est d’abord son geste à lui, d’abord sa propre habitation – habitation poétique, et ce qu’on voit : un temps, une seconde, une heure, un jour, une vie – d’exposition. Photographie-parcours, sentier hors du cadre – il est un des leurs. Je reviens aux noirs de ses photos – je pourrais dire : aux lumières basses. Espaces majeurs de la mesure – sans limites. Je pense aux tableaux de Mark Rothko. Je pense à l’imprégnation infinie de l’espace. Je pense à des lieux sans lieux, à des états de présence pure, aux temps comme aux distances, infinis. Je pense à une mystique de l’espace – immanence. Être en route, non pas vers un quelque part, mais vers la route elle-même. Être, c’est être dans le voyage – ou dans la possibilité toujours offerte du voyage : et l’immobilité, fût-elle d’une décennie, de devenir elle aussi expérience d’absolue mobilité.
Mobilité, ou ne pas avoir de lien, de terre – sinon toute la terre. Les racines des néo-nomades ne prennent pas pour posséder, mais pour se déposséder. La mobilité, dans son essence, touche à la quête d’une liberté sans cesse revendiquée. On ne capture pas le vent, on le ressent, et c’est en le ressentant, qu’on le possède. A l’encontre du consumérisme ambiant, on entre dans une aire de l’instant, de l’intensité, de présence au monde.
Se mouvoir, c’est avant tout savoir que l’on peut se mouvoir : dans la bouche, le goût d’une liberté qui arrache les chaînes et rend l’homme à l’homme – dans ses mains, la matière disponible de son destin.
Ferjeux Van der Stigghel ne cède pas à l’utopie. S’il fait œuvre de poète, s’il nous donne aux passages, s’il nous offre à l’horizon, il n’en pointe pas moins l’âpre du réel : la précarité, la marginalité, l’incompréhension, le heurt (que l’on sent, en suspens, si souvent) avec une architecture sociétale incapable de se remettre en question, incapable de sortir de ses schèmes et de se penser avec d’autres codes. Oui, c’est une œuvre qui dérange, une œuvre d’inconfortable émerveillement – une beauté qui inquiète et qui fascine."

Guillaume Logé   pour Forum Vies Mobiles

ci-dessous: extrait de l'exposition "travellers, campements et bords de ville", photos Ferjeux Van der Stigghel












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